Comment les “fachatubers” draguent la jeunesse espagnole


Ils s’appellent Wall Street Wolverin et Infovlogger, et font partie d’une nouvelle constellation d’influenceurs qui gagnent du terrain en Espagne.
Leurs réseaux ? Youtube, TikTok, et leurs propres podcasts.Leur cible ? Les jeunes.
Leur combat ? Contre le “wokisme” et “la censure dans les médias”.
L’hebdomadaire espagnol El País Semanal a rencontré ces Joe Rogan de la péninsule Ibérique, “fachatubers” autoproclamés qui veulent faire pencher le vote de la Gen Z à (l’extrême) opposé du cœur.
Reprenons depuis le début.
D’après l’Eurobaromètre sur la jeunesse et la démocratie, la moitié des Espagnols ayant entre 16 et 30 ans s’informent sur les réseaux sociaux. Mais selon l’Unesco, 62 % des créateurs de contenus qui parlent d’actualité ne vérifient pas les informations qu’ils diffusent.
C’est dans ce paysage informationnel pour le moins diffus qu’une nouvelle frange d’influenceurs se déploie.
“On ne parle que progressisme et wokisme. C’est pour cette raison que nous sommes arrivés,nous les fachatubers.
Nous exprimons des idées qui sont censurées dans les médias : leur objectif est d’influer sur la société et de changer le vote des gens, mais ils n’y parviennent pas.Tandis que nous, si.”
Isaac Parejo alias Infovlogger, youtubeur d’extrême droite à l’hebdomadaire espagnol El País Semanal

Isaac Parejo (alias Infovlogger), est bien connu des cercles d’extrême droite.
“Spécialiste des réseaux sociaux et collaborateur sur les programmes télévisés d’El Toro TV, il a lancé sa chaîne YouTube en octobre 2017, au moment du référendum mouvementé sur l’indépendance de la Catalogne. Il avait auparavant travaillé comme responsable des réseaux sociaux pour une agence de voyage et comme technicien vidéo pour d’autres entreprises”, retrace le site espagnol El Huffpost.
“Dans ses vidéos, [Infovlogger] apparaît parfois déguisé, par exemple en super-héros fasciste affublé d’une cape. Dans d’autres, il monologue face à son micro ou anime des débats. Au fil de ses vidéos, il n’hésite pas à marteler que Pedro Sánchez [le Premier ministre socialiste espagnol] est un psychopathe, qu’il faut détruire le PSOE [le parti socialiste espagnol] et que l’Espagne ressembleau Venezuela.”
Le site d’information espagnol El Huffpost
Et puis il y a Víctor Domínguez, alias Wall Street Wolverine, littéralement, le glouton de Wall Street.
Suivi par près de 900 000 personnes sur YouTube (où il anime le podcast vidéo Cancelled), il considère (entre autres) que quiconque reçoit une pension est un “égoïste”, et est convaincu qu’il y a une guerre “entre les créateurs de contenus en ligne ou les influenceurs qui traitent de questions d’actualité et les médias traditionnels”.

À Andorre, Víctor Domínguez a installé le siège d’un conglomérat d’entreprises “qui développe non seulement sa propre marque (principalement centrée sur le podcast vidéo Cancelled) mais aussi des activités du groupe Racks telles que la formation à l’investissement dans les cryptomonnaies.”
D’ailleurs, il le reconnaît volontiers : “La haine est très fédératrice.”
L’hebdomadaire espagnol rappelle que la Gen Z a grandi avec deux crises majeures (la crise économique de 2008 et la pandémie).
“Le désenchantement et les réponses politiques [de la jeunesse] face à la corruption et à l’accès au logement, à l’immigration ou aux catastrophes naturelles sont le terreau d’un juteux commerce alimenté par la haine”, explique El País Semanal.
Le conservatisme et l’extrême droite progressent en Europe, dans le sillage du trumpisme américain. Et “le vote en faveur de Vox [le parti d’extrême droite espagnol] apparaît comme le premier choix des jeunes Espagnols âgés de 18 à 24 ans, devant les choix considérés comme antipolitiques (l’abstention et le vote blanc ou nul), selon un sondage effectué par 40dB pour El País.”
Y a-t-il de l’espoir ? Un peu.
Déjà, les journalistes s’interrogent sur ce qu’ils ont manqué : “Nous devons nous demander pourquoi nous n’avons pas été capables de nous autoréguler, pourquoi nous avons cessé d’être un contre pouvoir”, regrette David Álvarez, professeur de déontologie à la Faculté des sciences de l’information de l’Université Complutense de Madrid.
Enfin, il reste la loi. Le 20 mai, la majorité du Congrès approuvait (de justesse, à 176 voix contre les 170 voix de la droite et de l’extrême droite) “la première étape vers une réforme de la loi qui réglemente le fonctionnement du Parlement, pour mettre fin au nombre croissant d’incidents engendrés par des provocateurs ultras, accrédités comme journalistes”.
Mais ce n’est que la première étape. Et il faudrait être de mauvaise foi pour croire que cela suffira.—
Courrier International